Le petit Robert et la grande Larousse ont été trop nourris pendant la pandémie : ils dégoulinent de mots nouveau-nés. Comme il a fallu quarante jours d’une pluie qui tombe sans trêve sur Noé pour faire naître le mot « déluge », il aura fallu la crise du covid-19 pour garnir des cases nouvelles dans les dictionnaires. Une pléthore d’experts en épidémiologie et de psychiatres aura droit de… citer dès à présent les néologismes nés des discours de nos politiques ! Outre le « coworking en open space » qui cède la place au « télétravail » et les « fichés S » qui se verront adjoints aux nouveaux « fichés C19 », nous avons maintenant des définitions nées de la pandémie comme « confinement », « gestes barrières ». On ne dit plus : « Je me lave les mains », on dit : « Je fais un geste barrière ». Et ce n’est pas tout ! Notre univers a changé et les mots pour le dire sont apparus comme est apparu le verbe « schlinguer » dans la bouche du premier homme à qui on a servi un munster ! En effet, sagement confinés dans notre espace de vie entre lit, canapé et machine à faire le pain, nous avons connu la joie de vivre sans la voiture et d’aller à pied chercher nos œufs, nos salades et nos fraises chez le paysan du coin. Survivalisme et sentience Le petit Robert et la grande Larousse ont immortalisé ces attitudes dans ces dicos qui sont aux mots ce que le Grévin est à Mimie Mathy. Ainsi les générations à venir sauront que nous sommes à l’origine de la « dédieselisation » par recours au vélo, et que nous sommes devenus « locavores » en préférant les cerises aux mangues et le poulet de la ferme au pangolin chinois. En ce qui concerne les mots définissant un comportement, le « boboïsme » de 2019 a fait place au « survivalisme » et la « résilience » est revenue au goût du jour avec la « sentience », néologisme fait pour exprimer notre capacité à ressentir fortement toutes formes d’émotions. Perso la « sentience » m’a frappée en plein cœur ! Quel choc, cette prise de conscience 53 ans après les faits ! En 1967, lors de la projection du film La Nuit des généraux , mon mari m’a dit le nom de l’assassin dès les trois premières minutes du film, et aujourd’hui, le Petit Robert m’apprend que mon mari était un… « divulgâcheur » ! Horreur, malheur ! Il va falloir que je surveille mes enfants ! Il peut y avoir des risques de propagation génétique. Des « recommandations barrières » s’imposent ! |
Hallelujah Leonard Cohen (1984)
Stjepan Hauser violoncelliste croate
2017 - 2020
Marie-Paule
ma chère soeur
trois déjà...
On peut sortir ! On peut aller dehors ! Oui, mais c’est difficile. Après deux mois de confinement, je me suis construit un bunker physique et mental. Dans mon cocon de briques et d’hortensias, j’étais à l’abri des postillons et des morsures de pangolin. Vous me direz qu’il n’y a pas de pangolins chez nous. Qui sait ? Pour parer toute éventualité j’ai fermé les verrous et j’ai fait les prières « contre le pangolin » conseillées sur internet. Même les prières ont des mises à jour. J’ai vécu dans un mode fermé comme un trappiste. Mon smartphone marquait 4 130 pas par jour et 18 montées d’escalier. Ces 4 130 pas, je les faisais en va-et-vient dans mon couloir. J’ai compris qu’on pouvait aller à Compostelle sans quitter son corridor. Les montées d’escalier, c’était ma séance de cardio effectuée loin de ces salles qui sentent le dessous-de-bras et le plastique chaud. Un monde où on me met cette étiquette indélébile « vieille » Chez moi pas de complexe face à des nanas au corps avec ces mensurations qui permettent de faire comprendre illico aux hommes qu’ils ont encore le critère essentiel exigé pour la reproduction. Chez moi, je suis la meilleure en gainage et en cross-fit ! Alors, comment voulez-vous que j’aie envie de descendre de ce piédestal si bon pour le moral ? Je vis le syndrome de Stockholm. Je suis frappée de la forme la plus aiguë puisqu’elle atteint l’âme. Deux mois à me réfugier dans le cinéma des années 50 et 60, à revoir les femmes à chignon et à jupe sur des bas nylon! Pendant deux mois, j’avais 15 ans à vibrer pour Cary Grant, 40 ans avec Tom Hanks dans Forrest Gump. Alors… croyez-vous vraiment que j’ai envie de sortir dans un monde où on me met cette étiquette indélébile « vieille » avec tous les dommages collatéraux : personne vulnérable, non prioritaire dans les soins d’urgence ? Tout bien considéré, je reste à l’intérieur. Là où j’ai 40 ans max, là où je ne souffre pas de ne plus voir mes enfants, mes amis et mon amour parce que, confinée, c’est moi qui ai les cartes de l’éloignement en main. Confinée, je ne me sens pas abandonnée, je me dis que c’est ce virus qui me rend inaccessible. Dans mon bunker, je lis Le Pigeon de Süskind, cette histoire d’un homme qui s’est construit un univers minimaliste, un petit studio d’où il peine à sortir si ce n’est pour prendre son travail de portier pour le loyer et la pitance. Je suis ce Jonathan Noël imaginé par Süskind. Je découvre le bonheur de la vie dans un petit périmètre. Je veux vivre dans un petit cercle comme ceux qui se dessinent par terre, depuis peu, dans tous les lieux publics afin que les gens s’y posent pour éviter la promiscuité. Une immense marelle Dorénavant d’ailleurs, le monde sera partagé en traits ou en cercles de peinture pour signaler les itinéraires et les points d’attente obligatoires. Le monde devient une immense marelle où tous les humains sautent à cloche-pied. Dehors, c’est Sodome et Gomorrhe ! Moi, je reste à Stockholm ! |
cigogne
La France, ayant chanté toutes ces années Se trouva fort dépourvue quand le coronavirus fut venu. Pas un seul masque, test , ou respirateur. auteur inconnu |
Le pouvoir de la musique est d'exprimer l'âme qui pleure. Archie Shepp La musique peut rendre les gens meilleurs, il suffit de la leur injecter constamment . Il faut éclairer l'obscurité de l'âme des mauvais. Bob Marley La musique peut se passer du monde mais le monde ne peut pas se passer de la musique. Écrire de la musique, c'est dresser une échelle sans pouvoir l'appuyer contre un mur.
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Aille spik ingliche. |
Au début, on nous a juste dit « restez chez vous » et on avait une double envie : celle de citer l’article premier des droits de l’homme sur la liberté d’aller et de venir et celle d’obtempérer pour éviter de rencontrer le nouvel ennemi n° 1. Les Français restent donc chez eux, les images de rues désertes et de plages où tous les transats sont libres le démontrent. Et là, lentement une nouvelle vie s’installe dans les foyers. Une civilisation parallèle est née selon l’adage : rien ne se perd, mais tout se crée et tout se transforme. Si la fonction crée l’organe, cette réclusion crée mini-man ! Mini-man est dans tous les foyers. Il sait se contenter du minimum. Il sait restreindre ses envies de films à l’anthologie complète des œuvres de Louis de Funès et aux méfaits échafaudés par le Professeur dans La casa de papel. Il sait transformer son vélo d’appartement en vélo de trial devant une vidéo de paysages alpins escarpés. Il sait faire sur son balcon le parcours de marathon de New York. Dans ce monde minimaliste, on passe de plus en plus de temps dans cet espace souvent inconnu où on faisait des passages furtifs : la salle de bains. Une liberté nouvelle née dans la salle de bains En l’absence de fond de teint et de mascara, « ce ne sont pas des produits de première nécessité », la femme sait retrouver la beauté sauvage, celle que découvrent les stars et les autres qui s’affichent sur Instagram dans leur aspect naturel, sans ce maquillage qui est ressenti tout à coup comme un accessoire de mode à la manière d’un sac Vuitton ou de la basket qui a des feux arrière. Une liberté nouvelle née dans la salle de bains. Être ce qu’on est. Se faire accepter tel qu’on est. La séduction sans fard et peut-être même avec des fesses devenues molles. La salle de bains est sublimée dans ces temps qu’on nous octroie pour rester enfermés chez nous tant nous sommes tous des bombes à retardement. On y passe et on y repasse pour ce lavage de mains aussi précieux pour l’espérance de vie que le vaccin contre le choléra ou contre la tuberculose. Le grand retour du bidet Quand je frotte mes dix doigts rugueux, je me sens investie d’une mission. Hélas ! Cet édicule étriqué a son yin mais aussi son yang. Dans cette loge dédiée à la céramique, en effet, on ne se lave pas seulement les phalanges pour le salut du monde, certains y entassent aussi le fruit de leur « Hamsterkauf », cette fièvre acheteuse qui les a précipités vers les rouleaux de papier Q. Le papier Q, symbole de leur égoïsme absolu. « Ce qui est à moi ne sera pas à toi ! » L’avenir du monde dans quatre mètres carrés carrelés. Car, les gazettes le disent, en ce moment, les spas qui attendent le chaland avec des bains bouillonnants ne font pas rêver les confinés. Les confinés rêvent de bidet. Ce sera le grand retour du bidet, celui qui vous lave devant et derrière et remplace ainsi le PQ. C’est la fin annoncée du « trois feuilles » même au papier lanoliné. Et puis on pourra y laver ses collants fins ou ses pieds. Et on pourra arracher des cris de joie à Mamema qui depuis 20 ans se lamentait : « Mer hann e bidet ghett ; diss ische eso praktisch gewann » (nous avions un bidet ; c’était si pratique). Demain donc Mamema, cette personne vulnérable, cette moritura dont parlent tous les infectiologues, pourra crier son bonheur : « Mer hann widder e bidet ! » (nous avons de nouveau un bidet !) |