Balcon : il est de ces mots qui ont des vies mouvementées comme des stars de cinéma qui passent d’une notoriété maximale à un oubli abyssal. Le balcon est comme le petit Macaulay Culkin : il peut être sous nos yeux mais on ne retourne plus son regard pour le voir. Le balcon a beau courir le long des barres d’immeubles, il n’est plus regardable, c’est une sorte de débarras où on entrepose son vélo pour le préserver des voleurs, ses chaussures pour éviter les odeurs de pied dans son petit « chez soi » et quelques piles de vieux sacs de commissions qu’on oublie toujours quand on va faire ses courses. Des monuments à la gloire du géranium et des herbes aromatiques Dans nos villages, ce sont des monuments à la gloire du géranium et des herbes aromatiques, genre de jardin suspendu, un lieu uniquement botanique car les habitants de la maison se prélassent sur leur terrasse sud ombragée par une pergola en alu et munie d’un barbecue pour les tablées d’une dizaine de convives (au moins) le week-end. Le balcon reste dans notre tête ce lieu où les jeunes femmes en fleur écoutaient leurs roméos qui chantaient en contrebas. C’était avant l’heure des SMS et de Whatsapp ! Les nouveaux moyens techniques permettent de communiquer aussi avec son Herzgebobbelt (bien-aimé) sans sortir de la maison pour aller se refroidir sur une saillie murale en fer forgé ! Seuls les grands de ce monde s’affichent sur des balcons monumentaux de centaines d’années d’âge, pour montrer leurs couronnes et leur progéniture à la foule roturière. Des hymnes de lutte contre le mal Et voilà que, dans nos villes et dans nos campagnes, le balcon devient un lieu de manifestation sociale. C’est une foule en morceaux de puzzle alignés sur des façades mais une foule des plus expressives. Sur les saillies architecturales on applaudit, à la nuit tombée, la bravoure du personnel médical dont on semble enfin connaître la valeur. On y chante aussi pour créer ce lien étrange qui se tisse entre les gens de tous les âges et de toutes les origines sociales. C’est beau et émouvant comme le chœur de la liberté de Verdi chanté par les esclaves pour se libérer de Nabuchodonosor. On assiste à une forme de guerre solfiée destinée à éradiquer un virus. Ce sont des hymnes de lutte contre le mal qui montent des balustrades. Je vous ai narré il y a huit jours ma vie de Robinson. Je reste seule. Je reste confinée. J’ai toujours à faire. Le soir, j’ai balcon. |