Un dimanche à la campagne. Pour nous, les enfants de village, c’était un jour spécial avec une fête des pompiers ou un match de foot en dehors du village après le pot-au-feu ou le poulet grillé de midi.
Pour les enfants des villes, c’était une sortie en voiture pour aller voir la Dorf-mamema et rentrer avec des fruits de ses vergers, des légumes de son jardin et un grand morceau de lard du cochon Ignace qui pendait dans le Rauchkammerle (le fumoir). Les gens cossus disaient : « Nous avons une campagne. Nous y allons le week-end avec des amis. Nous aimons nous ébrouer et faire du bateau dans la rivière qui passe dans la propriété. »
La campagne, au départ, c’est donc le monde rural, des villages aux rues balayées tous les samedis, avec des chiens qui se baladent en liberté, des poules qui courent, des coqs qui chantent dès 4 heures du matin, des odeurs de foin ou de lisier. Mais comme dirait Nietzsche, « Umwertung aller Werte » (inversion de toutes les valeurs), les mots prennent des sens nouveaux au fil de l’histoire.
Le mot « campagne » est, en ce moment, le mot tiroir d’une époque pas commode. Sur le plan international, Poutine est en campagne contre l’Ukraine. Sur le plan national, onze candidats sont en campagne pour présider aux destinées de la France. Sur un plan plus prosaïque, la campagne a investi la Porte de Versailles avec les saucissons, avec les culs de vaches qui n’attendent que d’être tâtés, avec des taureaux comme des bombes d’hormones qui ne demandent qu’à procréer pour la pérennité des entrecôtes et des bourguignons.
Sur le plan immobilier, les maisons à la campagne sont une manne exceptionnelle pour les chiffres d’affaires des gérants d’agences, tellement les citadins s’engouffrent sur les sites pour trouver un lieu im Dorf (dans un village) : en vue de confinements plus faciles à vivre avec vue sur un jardin et non pas sur le balcon, même vert, d’un autre confiné.
« Poutine, was machsch denn fer Sache ? »
Mamema est surtout perturbée par la campagne de Poutine contre l’Ukraine : « D’Russe sin schreckli » (les Russes sont terribles). Et de parler du petit Marie Xavier Lefebvre (fils du duc de Dantzig von Rouffach et de l’Alsacienne Catherine Hübscher), tombé pendant la campagne de Russie sous Napoléon… Et de rappeler que son père était en Crimée pour soutenir ce pays contre l’envahisseur russe ; et de mentionner son fils Eugène qui était à Orel, uff de russisch Front (sur le front russe), pendant la Deuxième Guerre mondiale ! « Er hett -31 grad ghett » (il subissait -31 °C), il était dans une combinaison isolée par du papier journal. Depuis, Mamema garde tous les journaux pour lutter contre le froid et se pose la question : « Was hann mer denn de Russe gemacht ? » (Qu’avons-nous donc fait aux Russes ?) Je verrais bien Mamema assise devant l’immense table de Poutine (cette table où la soupe a le temps de refroidir en arrivant au convive d’en face) et lui poser la question : « Was machsch denn fer Sache ? » (Mais qu’est-ce que tu fais donc ?) Une question qui restera sans réponse. En attendant, dans la famille, on stocke l’huile de tournesol et on se jure de continuer à ne pas manger de caviar.
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