Il y a ceux qui sont partis parce que c’était l’heure. Ils ont refermé leur porte sans bruit, ont laissé un mot sur la table, des souvenirs et des enseignements, un fardeau d’amour et puis s’en sont allés, comme ils sont venus, dans l’ordre des choses. Il y a ceux que la Camarde nous a arrachés, enlevés. Ils sont partis parce qu’ils ne pouvaient faire autrement, dans un bruit de claquement de porte. Ils ont embarqué un bout de notre cœur, nous laissant à nos cris d’injustice, de culpabilité, à notre solitude. Leur absence nous fait une deuxième peau. Mais tous sont là, rendus à la terre qui les a portés ou envolés dans une brise légère, ils nous habitent et leur souvenir se parfume d’un bouquet de fleurs ou des embruns iodés du whisky. Et puis il y a les morts kilométriques, ceux dont la porte explose, ceux qui sont nés au mauvais endroit, ceux qu’on condamne au néant. Eux ne partent pas : ils restent là, dans la poussière d’un sol craquelé, sous les décombres d’un hôpital ; et ce sont les vivants, les encore vivants, qui partent, s’évadent de ce cimetière aux grilles scellées. Ils mettent des kilomètres entre eux et la mort mais elle les rattrape parfois et quand ils se croient suffisamment loin d’elle, elle vient encore les tourmenter. Elle prend le visage de la peur. Et si ces encore vivants transportaient la mort dans leur maigre bagage, comme une maladie contagieuse ? Elle a bon dos la peur, qu’attisent des gardiens de nécropoles, mais elle n’abolit rien et surtout pas la conscience de notre humanité. La mort nous rattrapera tous un jour, vivants et encore vivants, et il serait sans doute léger au cœur de ceux qui resteront que nous puissions alors tous… reposer en paix. Hervé Miclo Dernières Nouvelles d'Alsace 01.11.2016 |