Braves gens ! Nous ne sommes pas seulement confinés, nous sommes en conditionnel. Le présent de l’indicatif dit narratif nous rend dépressifs. « Mon coiffeur est fermé - L’élastique de mon masque me fait mal aux oreilles - Lili ne se brosse plus les dents, elle dit qu’avec le masque, personne ne peut sentir sa mauvaise haleine. »
Vous remarquerez que le présent de l’indicatif ne nous transcende pas. Et le conditionnel ? N’est- ce pas le mode du « tout est possible » ? L’adage dit : « Avec des si on mettrait Paris en bouteille. » Nous sommes donc en train de mettre Paris en bouteille tant le « si » envahit les conversations.
Notre Premier ministre a bien essayé de nous faire peur avec ce conditionnel dépressif. « Il ne serait pas raisonnable d’espérer. » Mais nous, on espère ! Nous, on aime le conditionnel constructif ! On se projette dans un avenir radieux avec des « si ».
C’est une symphonie en si qui retentit au quotidien. « Moi, je partirais le week-end à Capri en avion s’il y avait des avions – Si je vis encore dans 50 ans, c’est que je ne serai pas mort – Si mon cousin se présentait à l’Eurovision, on y aurait quelqu’un de la famille. »
Certes mais la pandémie a réussi à mettre nos « si » si enthousiastes en si mineur, celui des frustrations. « Jooo, Monsieur Hakenschmitt, je suis sûre que si votre coiffeur était ouvert vous ne vous seriez pas rasé la tête pour que ça fasse propre, gall ? » « Croyez-moi Lucie, si j’avais pu aller en Allemagne le 11 novembre, j’aurais mangé de l’oie farcie avec des knödels mais c’est fermé, alors j’ai juste regardé la recette sur YouTube. Ma bonne Lucie, je vous jure, si j’avais su, j’aurais mangé de l’oie avant le 11 novembre car Gernot le restaurateur allemand a dit au Südwestfunk que s’il avait su il aurait fait la Martinsgans au Michelstag le 29 septembre et moi le 29 septembre j’aurais été là. »
C’est vrai, Martin ou Michel, peu importe le saint du jour pourvu qu’on puisse se taper une oie cuite au four. Avec le si, on refait sa vie autrement !
2020 ? « Si j’aurais su, j’aurais pas venu »
Et Noël dans tout ça ? Rien n’est sûr. Que de « si » sifflent sur nos têtes à l’évocation de cette fête ! « Si ma fille ne pouvait pas avoir un chalet, qu’est-ce qu’elle ferait de toutes ses bougies ? Elles devraient les refondre pour Pâques pour faire des lapins-bougies ? – Madame Heinrich, si on n’a pas le droit d’avoir plus de six personnes, on va faire quoi ? Noyer Tonton Émile et Tata Fernande ? – Ils disent que si les lits de réa ne sont pas vides, Noël ne pourra pas avoir lieu ! Vous le croyez ça ? Noël, c’est quand même une crèche remplie avec un bébé, ce n’est pas un lit de réa vide – Monsieur Klein, je vous le dis, s’ils ne faisaient pas Noël ce serait presque mieux. Moi, Noël, ça me fait peur, tu pourrais avoir un PV si tu avais les trois rois mages ! »
Nous sommes en » conditionnel ». En ce qui concerne l’année 2020, je dirais comme Petit Gibus : « Si j’aurais su, j’aurais pas v’nu. » Nous vivons dans le doute. Tout n’est pas perdu car, comme le dit un sage oriental, « le doute n’est pas toujours la racine de la réalité ».
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